"Certains croient que le football est une question de vie ou de mort… Je vous assure que c'est beaucoup plus sérieux que ça." Bill Shankly
Diego Costa, joueur de rue jusqu’au bout
Publié le mars 12,
Diego « El Cabrón » Costa, joueur de rue jusqu’au bout.
Plus enclin à mettre son poing dans ta gueule qu’à effectuer un passement de jambe, plus bouledogue britannique que
ballerine brésilienne, plus taulard que gentleman. Le Pichichi de l’édition 2012/13 de la Copa del Rey n’a pas la technique d’un Benzema, la classe d’un Falcao, ni l’instinct de buteur d’un David Villa.
On ne le retrouvera ni sur la Une d’Esquire, ni en train de se la raconter sur les réseaux sociaux. Trop underground. Trop brut. Diego « El Cabron » Costa est un attaquant de combat à part.
Qui donne autant de coups de poing que de coups de pied, et qui porte la rue dans son âme ; ces rues qui l’ont formé aussi bien en tant qu’homme qu’en tant que joueur. Diego Costa est un vrai salaud et il se fiche de ce que tu en penses. Pourquoi ? Parce qu’il a commencé tout en bas et a pédalé comme un taré pour devenir, au jour d’aujourd’hui, l’attaquant le plus original et collectif en activité. Très probablement le meilleur mauvais joueur du monde.
« En grandissant, on m’a fait comprendre qu’un coup de coude était normal. La rue a été mon école. »
Tout a commencé à Lagarto, une petite ville perdue dans le Nord-Est brésilien. Un sacré clin d’œil au déterminisme géographique (Lagarto veut dire ‘lézard’ en espagnol), tant l’ami est reptilien dans ses mouvements. Si Orwell a bien dit que l’on a le visage que l’on mérite à cinquante piges, l’aphorisme s’applique exceptionnellement à Costa. Le type n’a que vingt-quatre printemps, mais la rue est gravée sur cette gueule de taré. La rue où il appris à jouer, où il a passé sa jeunesse. Loin, bien loin des praihas maravilhosas de Rio ou des centres de futsal tout beaux de Porto Alegre, Costa a tout appris dans la rue, comme un bâtard errant. Pas de filet, pas d’herbe : que du sang, de la sueur, et des larmes. « On n’avait pas faim, on n’était pas pauvre, mais on avait la vie dure. Ma ville n’avait pas de structures ni de ressources, alors on s’est crée une équipe de street, et on allait jouer contre d’autres équipes des villes voisines. » Hardcore. Ce qu’il a raté en termes de coaching, il l’a gagné en débrouillardise. Un Master de « comment se démerder », issu de l’école de la vie.
Et c’est là qu’il est devenu le Malandro qu’il est aujourd’hui. Pas le genre à t’humilier avec une virgule, non ; le genre à tout faire pour s’en sortir, sans scrupule. A l’âge où Wayne Rooney marque son premier but professionnel, où Radamel Falcao dispute le Mondial U-17, Diego Costa rode encore dans la rue. A flamber. A frimer. A éviter la merde. Mais surtout à faire passer des fringues en contrebande par la frontière paraguayenne (mais qui n’est pas passé par là, hein ?), afin d’avoir de quoi inviter une fille à un verre. La vie d’un vagabond, loin, bien loin du lustre de la Liga BBVA. Un OVNI footballistique, un chien qui a cassé toutes les règles de « comment devenir footballeur professionnel ». A tel point que les chances étaient bien plus fortes qu’il ait le destin d’un Lil Ze, plutôt que d’un Lil Ronaldo.
Mais le ballon l’a sauvé. Repéré par un scout de Braga (lié à l’omniprésent Jorge Mendes) dans un match qu’il devait rater (suspendu, normal), on lui offre un contrat sur le champ, et le fou signe sans hésiter. Direction l’Europe. Graças a Deus.
« Je ne pouvais pas me contrôler. Je ne respectais pas mes collègues. Une éducation m’aurait appris ces choses-la. »
Boum, le choc culturel. Depuis, l’absence de toute éducation conventionnelle s’est perçue trop souvent dans le comportement de Costa, alors qu’il peinait à laisser tomber les normes de la rue, dans cette version pro du foot qu’il n’avait jamais connue. Bougeant à droite à gauche d’un petit poucet ibérique à un autre, (quatre prêts dans sept clubs différents), amassant soixante-trois cartons jaunes et quatre rouges, le type n’a pas vraiment vécu la trajectoire du footballeur capricieux de l’ère moderne. On dirait plutôt un pugiliste des années 1850. On n’a jamais rien donné à Costa. Nada.
Mais Costa est en train de transformer ce manque d’éducation en qualité, enfin. Modeste quitte à devenir fou, Costa admet non seulement qu’il n’est pas un crack, mais se voit même un peu en imposteur. « Je cours. Si tu cours, tu peux au moins faire croire aux gens que tu joues bien ». Une sorte de Heskey brésilien. On parle d’un type dont la page Wikipédia le décrit comme un « footballeur » entre gros guillemets. Combattant avant d’être footballeur. Et s’il est aujourd’hui le complice de Radamel Falcao dans l’actuelle troisième meilleure équipe d’Espagne, Costa le doit aux valeurs de travail, fighting spirit, et à une bonne dose d’engagement : il s’est bagarré, s’est battu, a craché et hurlé pour y arriver. Métaphoriquement et littéralement. Parce que bien qu’il veuille s’embourgeoiser pour la cause, la rue ne le quittera jamais. Chassez le naturel, il revient au galop. C’est le chien sauvage que l’on ne domestiquera pas.
El Cholo Simeone, le Pi Patel de son Richard Parker, est pourtant convaincu qu’il pourra calmer son « street spirit » à la façon de Good Will Hunting, tout en gardant cette incroyable grinta qui définit cet Atléti fou. Simeone, lui-même partisan des forces du mal lorsque il était joueur (n’est-ce pas, David Beckham ?), n’est que trop conscient de l’équilibre dont son joueur a besoin. Le point critique est survenu lors du déplacement obscur à Viktoria Pilzen en novembre dernier. Expulsé pour une agression gratuite sur un pauvre tchèque, Simeone décide alors que c’est la dernière fois que Costa « perd la tête ». Il n’avait pas le choix, conscient que la deuxième place – synonyme d’une C1 dont rêvent les Colchoneros – est à prendre. « Tout passe, tant que tu peux rester sur le terrain. »
Falcao-Costa, un couple improbable
Costa a tout pigé. Ou presque. De boulet imprévisible, il est devenu le joueur de l’Atlético le plus important cette saison (oui, plus important que Falcao). Bon, ce n’est pas comme s’il était devenu un moine trappiste, mais c’est tout comme. Le brésilien se contrôle physiquement, pour mieux continuer la pratique de ce « trash talk » qu’il affectionne tant. Averti seulement trois fois depuis le changement de « chip », il a réussi à provoquer 17 cartons chez ses adversaires, 14 jaunes et 3 rouges, tout en étant le joueur de Liga ayant subi le plus de fautes. Une performance folle dans le championnat des deux extra-terrestres. Des stats qui feraient peut-être honte à certains attaquants, mais une aubaine pour Diego « El Cabron » Costa.
Et une aubaine pour l’Atléti. Plus ses adversaires passent leur temps à trépigner, insulter sa mère et cracher sur la bête, moins ils peuvent veiller sur son partenaire d’attaque, un certain Falcao. Falcao-Costa, ce couple improbable : le clean, fair-play, beau gosse, techniquement excellent Falcao, et….Costa. Interrogé sur des incidents avec la paire, Sergio Ramos a parfaitement décrit la chose : « Je n’ai aucun problème avec Falcao ; il joue avec respect, ne cherche jamais la merde… Complètement l’opposé de Costa ». Un duo « old school » qui devient de plus en plus fort à mesure qu’il gagne des automatismes. Probablement la paire d’attaque la plus forte de Liga, avec Costa qui dézone, récupère, et dribble comme un fou à attendre un tacle ou une passe décisive, au choix. Car si c’est le beau Falcao qui marque les buts, c’est son pote Costa qui les crée. Surtout, il ne faut jamais intellectualiser son jeu en l’appelant « neuf et demi » : Diego Costa est un coureur, un bosseur, un combattant. Et basta.
Idole colchonera
Mais au-delà de ce style rustre et inculte se cache un sacré joueur avec une énorme marge de progression. Sa performance en demi-finale de Copa est un classique : un but, une passe décisive, et surtout la provocation de deux adversaires (Medel et Kondogbia) avec à la clé deux cartons rouges pour seulement un coup de latte sur la tête de turc. Pendant que la plupart des attaquants comptabilisent leurs stats en buts, Costa compte désormais la rage et la haine qu’il parvient à susciter. Et surtout, il continue à jouer d’après ses propres règles.
Ce dévouement l’a fait passer du statut de type bizarre et maladroit, qui squattait derrière Forlan et Kun au cas où – mais vraiment au cas où – à une idole colchonera. Contacté par mail, Dani Hidalgo du quotidien madrilène AS, résume : « Tout a basculé pour lui après les matchs contre Madrid et Bétis. C’est à ce moment qu’il est devenu un vrai joueur de l’Atlético. Bon, son crachat sur Ramos n’était pas propre, mais la presse a lancé une chasse à l’homme à son encontre alors que Ramos commence tout. C’est pareil qu’Ujfalusi, qui a vécu la même histoire après son tacle sur Messi il y a quelques saisons. Quand l’un des nôtres est attaqué, on vient à son secours. Désormais, c’est indiscutablement l’un des nôtres ».
Et après avoir été appelé par la Seleçao la semaine dernière, Diego Costa est même un joueur International. Un vrai conte de fées. Ce n’est qu’un amical, certes, mais même si sa carrière internationale devait s’arrêter là avec une seule cape, cela resterait une vraie belle histoire. Et si, d’une manière ou d’une autre, il arrivait au Mondial, l’allusion à un conte de fées ne suffirait plus. Il faudrait alors en faire un film. Mais cela reste peu probable. Le soir où il a dépassé son antithèse Cristiano en tant que Pichichi de la Copa avec sept buts, Costa a inévitablement fait parler de lui pour des mauvaises raisons. Kondogbia, l’un des Sévillans expulsé pour une dite agression, l’accuse de lui avoir fait des cris de singes. Et cela dépasse les limites du « trash talk » : c’est moche. Très moche.
Diego Costa, un bad boy assagi qui peine à laisser la rue définitivement derrière lui.
Paul Morrissey
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