l était l’un des derniers grands créateurs de Paris, l’inventeur du canard Apicius, riche de tant d’épices, du foie gras chaud au chou (le chou pour éponger le gras du foie de canard), de la raviole de langoustine (la pâte de la raviole demeurée al dente) et de tant d’autres bons mets, grands plats, apprêts savants, qui revisitaient la cuisine d’aujourd’hui à l’aune des grimoires d’autrefois. L’Antiquité l’inspirait, le classique le titillait, la modernité le taraudait, les alliances mets/vins le passionnaient. Du temps, où, à Cuisine & Vins de France, alors rue Boissy d’Anglas, avec François Simon et l’aide de Jacques Puisais, nous créâmes la rubrique « le Goût Juste », sa maison de la place de la Madeleine, Lucas-Carton, était devenue notre « annexe ». Il nous recevait, en compagnie d’Eventhia, sa chaleureuse épouse, nous appelait « mes chéris« . Et c’est vrai que nous étions un peu ses fils. Avions découvert la magie de la nouvelle cuisine des années 1970 sous sa houlette au 84 rue de Varenne, dans ce qui était alors l’Archestrate, allait devenir l’Arpège, sous la houlette de son meilleur élève, Alain Passard. Parmi ses disciples, Dominique le Stanc, Michel Husser, Shigeo Torigaï, figuraient comme des surdoués modestes. Pédagogue et passionné, Alain Senderens, qui avait gardé l’accent du Sud (né à Hyères, élevé à Lourdes), enseignait la ferveur. C’est bien ce formidable enthousiasme qui restera comme sa marque. Dans la maison où il travailla avec Jérôme Banctel (qui officie aujourd’hui à la Réserve) et dont Julien Dumas dirige à présent les fourneaux – il l’avait reprise en 1985 (il y avait travaillé de 1963 à 1965) – il remettait sans cesse son métier sur l’ouvrage, revoyant la quenelle de brochet, le millefeuille (à la vanille) ou le macaron (avec mangue et rose) avec un sens de la novation perpétuelle. Il voulait aussi non pas oublier les sauces, mais les sublimer en extrayant les jus, comme le fera après lui Yannick Alléno chez Ledoyen. Ce créateur était un visionnaire. Voilà qu’il nous quitte dans sa 78e année. Dans sa retraite du plateau de Millevaches, il s’était fait discret, s’était peu à peu retiré du monde. Ce tout grand de son métier était un seigneur, qui soignait ses assiettes comme son apparence. Nous ne t’oublierons pas, cher Alain. Tu nous manques déjà.
l était l’un des derniers grands créateurs de Paris, l’inventeur du
canard Apicius, riche de tant d’épices, du foie gras chaud au chou (le
chou pour éponger le gras du foie de canard), de la raviole de
langoustine (la pâte de la raviole demeurée al dente) et de
tant d’autres bons mets, grands plats, apprêts savants, qui revisitaient
la cuisine d’aujourd’hui à l’aune des grimoires d’autrefois.
L’Antiquité l’inspirait, le classique le titillait, la modernité le
taraudait, les alliances mets/vins le passionnaient. Du temps, où, à Cuisine & Vins de France, alors rue Boissy d’Anglas, avec François Simon et l’aide de Jacques Puisais, nous créâmes la rubrique « le Goût Juste »,
sa maison de la place de la Madeleine, Lucas-Carton, était devenue
notre « annexe ». Il nous recevait, en compagnie d’Eventhia, sa
chaleureuse épouse, nous appelait « mes chéris« . Et c’est vrai
que nous étions un peu ses fils. Avions découvert la magie de la
nouvelle cuisine des années 1970 sous sa houlette au 84 rue de Varenne,
dans ce qui était alors l’Archestrate, allait devenir l’Arpège, sous la
houlette de son meilleur élève, Alain Passard. Parmi ses disciples,
Dominique le Stanc, Michel Husser, Shigeo Torigaï, figuraient comme des
surdoués modestes. Pédagogue et passionné, Alain Senderens, qui avait
gardé l’accent du Sud (né à Hyères, élevé à Lourdes), enseignait la
ferveur. C’est bien ce formidable enthousiasme qui restera comme sa
marque. Dans la maison où il travailla avec Jérôme Banctel (qui officie
aujourd’hui à la Réserve) et dont Julien Dumas dirige à présent les
fourneaux – il l’avait reprise en 1985 (il y avait travaillé de 1963 à
1965) – il remettait sans cesse son métier sur l’ouvrage, revoyant la
quenelle de brochet, le millefeuille (à la vanille) ou le macaron (avec
mangue et rose) avec un sens de la novation perpétuelle. Il voulait
aussi non pas oublier les sauces, mais les sublimer en extrayant les
jus, comme le fera après lui Yannick Alléno chez Ledoyen. Ce créateur
était un visionnaire. Voilà qu’il nous quitte dans sa 78e année. Dans sa
retraite du plateau de Millevaches, il s’était fait discret, s’était
peu à peu retiré du monde. Ce tout grand de son métier était un
seigneur, qui soignait ses assiettes comme son apparence. Nous ne
t’oublierons pas, cher Alain. Tu nous manques déjà.
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